vendredi 21 décembre 2012

Trilogie new-yorkaise de Paul Auster



Trilogie new-yorkaise
1)      Cité de Verre
2)      Revenants
3)      La Chambre dérobée
Editions Babel
444 pages

Synopsis :
Indescriptible. Trois récits aux allures d’intrigues policières voyant un narrateur embarqué malgré lui dans la recherche d’un individu porté disparu mais se voyant finalement rapidement confronté à lui-même, à un monde qui perd son sens et à un langage qui échoue dans sa fonction première de communication. Bref, à vous de lire pour vous faire une idée…







En presque un an de chronique, c’est la première fois que cela m’arrive : je bloque au moment de rédiger. Différentes raisons à cela. La première tient à ma lecture de l’œuvre qui s’est étalée sur près d’un an puisque j’ai fait des pauses de plusieurs mois entre chaque épisode bien qu’ils soient réunis au sein du même volume. La seconde raison est liée à l’œuvre elle-même : atypique, troublante voire dérangeante, insaisissable. L’œuvre est à l’image de son sujet : une langue qui nous hypnotise, nous exténue (sans connotation négative) mais qui finalement nous échappe et nous laisse avec un sentiment de manque, d’inachevé et de lecture vaine. Une citation du livre, qui met en abyme la lecture du narrateur et celle du lecteur, résume parfaitement le sentiment suscité par ce livre :

 
« J’ai lu sans discontinuer pendant une heure, feuilletant ici et là, essayant de me faire une impression […]. Si je ne dis rien de ce que j’y ai trouvé, c’est parce que je n’ai compris que très peu de chose. Tous les mots m’étaient familiers, mais ils semblaient pourtant avoir été rassemblés bizarrement, comme si leur but final était de s’annuler les uns les autres. Je ne peux trouver d’autre façon de dire cela. Chaque phrase effaçait la précédente, chaque paragraphe rendait le suivant impossible. […] Il avait répondu à la question en posant une autre question et tout restait donc ouvert, inachevé, à recommencer. Je me suis égaré après le premier mot, et dès lors je n’ai pu qu’avancer à tâtons, vacillant dans l’obscurité, aveuglé par le livre qui avait été écrit pour moi. Et pourtant sous cette confusion, j’ai senti qu’il y avait quelque chose de trop voulu, de trop parfait, comme si en fin de compte la seule chose qu’il eût vraiment désirée était d’échouer – au point de se vouer lui-même à l’échec. »


Longue citation tirée de la Chambre dérobée mais qui résume parfaitement ce que je vais essayer de dire sur ces trois récits.

Je parlais de mise en abyme et la citation insiste sur l’égarement du lecteur, les morceaux de récit qui s’annulent entre eux. En effet, Paul Auster prend un malin plaisir à nous égarer. Cité de verre,  commence comme un roman policier mais bien vite on se rend compte que déjà là Auster nous a trompé. Le récit prend une toute autre tournure, s’achève sans que le mystère ne soit vraiment résolu. Puis, commence Revenants, subtile variation sur le même schéma et le même thème que le premier récit. Et de même pour le dernier  La chambre dérobée : toujours une disparition sur laquelle le narrateur enquête ce qui finalement le mène très loin de ce qu’il cherchait. Au fil des trois récits, Auster multiplie les allusions aux autres, fait se croiser les personnages et dessine ainsi un réseau de connexions cachées dont on cherche à percer le sens qui nous échappe. Il nous trompe également au sujet des différentes voix qui racontent : le nom de l'auteur réel Auster apparaît dans le livre, le narrateur s’avère parfois auteur puis soudain on découvre qu’en fait le narrateur d’un des autres récit nous parlait déjà dans un des autres récit mais en camouflant sa voix. Bref, jeu de dupe du début à la fin des récits.


Et en particulier à la fin. Car finalement, comme le dit la citation. Auster nous répond par une autre question. On poursuit sa lecture en espérant comprendre mais, arrivé à la dernière page, on ne comprend toujours pas, ou pas complètement. Les motivations des personnages qui échouent à communiquer nous échappent. On est confronté à ce monde incompréhensible dans lequel s’agitent en vain les personnages. On en aurait presque le sentiment que notre lecture, elle aussi, a été vaine.


Mais non. En effet, La Trilogie new-yorkaise vaut le détour. Atypique, dérangeante et insaisissable comme je l’ai déjà dit. On est happé par les récits : la preuve, j’ai découvert Cité de verre car il y a quelques années j’ai eu à traduire le début du premier chapitre en cours d’anglais. Ces quelques lignes ont suffit à me convaincre de lire la suite. Certes, je n’y ai pas trouvé ce que je m’attendais à y trouver mais cela ne signifie pas que je n’ai pas aimé. Le style d’Auster est très agréable à lire, l’auteur ayant un talent pour formuler certaines choses de façon percutante (« au total chaque vie ne peut se réduite qu’à elle-même. Ce qui revient à dire : les vies n’ont pas de sens »). Rien que pour le dépaysement qu’offre Auster dans le paysage littéraire, il peut être intéressant de ne lire qu’un seul de ces récits. S’il fallait en choisir un, j’opterais pour le premier, Cité de verre ou alors le dernier La Chambre dérobée. Plus aisé à appréhender que Revenants qui est de loin le plus étrange et le plus éloigné d’un récit traditionnel (les personnages étant niés jusque dans leurs noms puisqu’ils sont nommé selon des couleurs !).




En résumé : une lecture intéressante mais pas forcément évidente à suivre (d’où les longues pauses que j'ai faites entre chaque récit). Je conseille aux curieux qui aiment découvrir des romans atypiques et loin des codes. En revanche, je déconseille à ceux qui ont besoin de récits bien cadrés et aux intrigues clairement résolues car il s’agit là d’un des premiers codes desquels Paul Auster s’affranchit sans pour autant que la trilogie ressemble à un n’importe quoi sans queue ni tête. J’en revient toujours à ma citation : « sous cette confusion, j’ai senti qu’il y avait quelque chose de trop voulu, de trop parfait », quelque chose qu’on pressent mais qu’on arrive pas à saisir. Et c’est là le sentiment qui fait la force du roman en répondant à la question qui traverse toute l’œuvre : le langage et la capacité à dire les choses.
7 / 10


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